Laïcité

1er entretien de Robinson : dimanche 17 janvier 2016

Les Mutations de la Laïcité française

par Philippe Portier

Philippe Potier, Directeur d’Etudes  à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, précise d’abord la relation entre laïcité  et modernité. En trois siècles, on est passé de l’idée de l’Homme, créature de Dieu, dépendant de Lui, à celle de l’Homme comme « sujet » ; de même pour le pouvoir, est désormais sans lien avec Dieu et se suffit à lui-même. Dès lors, ce pouvoir est totalement « anthropocentré ».

Que faire alors des croyants et des non-croyants ? Devant la diversité et le pluralisme en ce domaine, comment gérer les rivalités et arbitrer des éventuels conflits ? De là émerge la solution laïque, où la liberté de conscience, comprenant celle de religions, est garantie par un Etat neutre.  La majorité des pays d’Europe a progressivement adopté un système de séparation des Eglises et de l’Etat, soit avec  collaboration (Danemark et pays de l’Europe  du nord), soit sans collaboration (France, Espagne, Portugal…)

Evolution du modèle français dans le temps

Après un bref temps  de séparation et de différenciation brutale pendant la Révolution, le modèle bonapartiste  avec le Concordat (1801) redonne à la religion un rôle important, pour maintenir l’ordre moral dans la société, notamment dans les écoles.

Mais il est peu à peu rejeté : on pense construire un lien social sans recourir aux bases de la religion. L’école progressivement  se libère de la tutelle symbolique de la religion (catholique), surtout après 1880 et les lois scolaires de Jules Ferry : la morale républicaine prend la première place parmi les matières des programmes scolaire en lieu et place de la morale  religieuse.

Ce qui aboutit à la Loi de 1905 sur la Laïcité : avec ses deux articles majeurs :

–  la République garantit la liberté de conscience ;
–  la République ne reconnait, ni ne subventionne aucun culte.

C’est la privatisation de la religion ; les fonctionnaires ont l’interdiction de porter des signes religieux.

Evolution  depuis 1905

La laïcité se généralise dans l’espace public, sans modification  de la Loi de 1905. Le « sujet », séparé de ses attaches, est pensé comme promesse de l’universalisme et de l’humanisme des Lumières. L’Etat étant en surplomb. Pourtant, le pouvoir va se trouver peu à peu dans le champ de la collaboration avec les autres forces de la société civile. La pression de l’opinion publique y contribue. L’on est sensible au  respect des singularités, à leur reconnaissance. Les philosophes comme Michel Foucault et Paul Ricœur ont joué un rôle important dans ce changement.

Situation actuelle

Avec l’émergence de l’Islam en France, apparait dans les années 1990 une laïcité de sécurité, l’apaisement  des relations entre l’Etat et l’Eglise catholique, notamment, s’étant acquis. D’où aujourd’hui deux types de discours :

– Celui qui stigmatise toute demande de reconnaissance identitaire (communautarisme),
– Un discours populiste qui monte en flèche dans un but stratégique et idéologique.

Différentes lois sont promulguées visant les pratiques et les croyances religieuses. On constate que la laïcité  envahit  l’ensemble de la société et de l’espace public. Or, en démocratie, on ne peut restreindre les libertés qu’en cas de trouble  à l’ordre public. En 1789, la laïcité était au cœur de la reconnaissance des Droits de l’Homme. Aujourd’hui, c’est la question des valeurs qui est mise en avant Le terrorisme est passé par là.

Texte de Philippe KABONGO-MBAYA, résumé par  Sylvette BAREAU

3ème entretien de Robinson : dimanche 7 février 2016

Laïcité, une autre histoire ! Roger Williams,

par Marc Boss (Théologien)

On connaît mal le réformateur Roger Williams, pourtant campé en pied sur le mur de la Réformation à Genève, à côté du bas-relief des Pèlerins du Mayflower en prière: l’historien de Genève Charles Borgeaud, concepteur de ce mur, contribuait ainsi à tirer de l’oubli ce pasteur puritain qui s’embarqua en 1630 pour la baie du Massachusetts pour échapper, comme ceux du Mayflower, à l’autorité de l’Église anglicane et à la répression politique.

Il fonda en 1644, sur la base de la liberté de conscience et de religion, la « plantation » de Providence à Rhode Island, loyalement achetée à ses premiers occupants Amérindiens et protégée par une Charte contre la convoitise des colonies voisines.

Cette colonie obtint de Cromwell, en 1653, la reconnaissance légale de son autonomie et se développa par l’accueil des « âmes en détresse », victimes de persécution religieuse, à quel que bord qu’ils appartinssent: en l’occurrence, des Quakers, des Juifs séfarades, et même ces « antichrétiens » qu’étaient les catholiques aux yeux des puritains!

Marc Boss, professeur à l’IPT de Paris, a retracé avec verve la vie du personnage. Williams avait dans sa jeunesse à Londres joui du patronage du grand juriste Edward Coke, très indépendant d’esprit, et rencontré le puritanisme lors de ses études à Cambridge.

Les Bostoniens firent de lui leur pasteur, mais, hostile aux liens que la communauté conservait avec l’Église anglicane, Williams rejoignit les séparatistes de Salem, puis les rescapés du Mayflower à Plymouth, avant de se réfugier parmi les Indiens Narragansetts dont il gagna l’estime au cours d’un long compagnonnage, étudia la langue et les coutumes et célébra les mœurs dans de nombreux poèmes.

Il mourut dans sa colonie, dont il avait été nommé recteur entre 1654 et 1658, vers l’âge de quatre-vingts ans.

Au cœur de ses travaux, la question théologico-politique des relations entre l’Église et l’État l’amena notamment à de vives controverses avec le théologien de Boston John Cotton, à coup de libelles, dont La Doctrine sanguinaire de la persécution pour des raisons de conscience (1644), qui condamne toute coercition religieuse.

Pour Williams, Dieu n’exige pas l’uniformité religieuse et les païens même, les musulmans, les papistes, les agnostiques et les athées peuvent recevoir la grâce.

Aussi conviendrait-il que même l’état-civil soit confié à une institution purement civile. En 1663, le Rhode Island Royal Charter stipula « que personne dans la colonie ne puisse être molesté pour raison d’opinion ». Et ce, quelque 150 ans avant les révolutions américaine ou française, près de 50 ans avant l’instauration de la monarchie constitutionnelle anglaise (1688)!

Vers le milieu du XIXe siècle, c’est la réception française de l’œuvre de Williams qui amena l’américaniste Édouard de Laboulaye, du Collège de France, à concevoir le projet, pris en charge par le sculpteur Bartholdi… d’une statue de la Liberté symbolisant « l’inviolabilité de la conscience individuelle ».

 

C’est donc au sein même du protestantisme que s’inventa la laïcité.

Renée Piettre