L’«Épreuve» avec un grand «É» et la Résurrection

Le mois dernier, je faisais allusion à la « tentation » de Jésus au désert (Mt 4.1-11, Mc 1.12-13, Lc 4.1-13) après une période de jeûne. Or, les textes sur le jeûne sont fréquemment précédés de textes sur la prière, dont la version longue du Notre Père (Mt 6.9-13) et sa sixième demande au v. 13, identique à celle de Luc dans la version courte (Lc 11.2-4), que la plupart des traductions françaises rendent par « Ne nous soumets pas à la tentation ». Comme vous le savez, cette formulation a été amendée à la demande de nos frères catholiques, appuyés par des théologiens orthodoxes, et un récent synode national a entériné les termes « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Cette traduction n’a pas échappé aux critiques, notamment celle de gommer les aspérités du texte (traduttore, traditore !) Nous pouvons avoir l’impression d’une nouveauté imposée. Notre précédent président Laurent Schlumberger reconnaissait (« Ressources », avril 2015) que du côté protestant des insuffisances de communication interne marquèrent ce processus d’adoption, alors que la demande des évêques catholiques francophones datait de 2009.

Certains exégètes, au vu des termes identiques dans Matthieu et Luc, arguent que le verbe grec employé impose un verbe transitif « apporter vers », « conduire dans », très bien rendu par « ne nous induis pas » (traduction protestante française avant 1965) ou « ne nous soumets pas » (traduction œcuménique de 1966). D’autres, s’appuyant sur une allusion d’un Père de l’Église à un proto-évangile de Matthieu (« Mathieu écrivit un évangile dans la langue des Hébreux »), arguent que le texte araméen, voire hébreu sous-jacent est mieux rendu par « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Seulement voilà, ce texte ne nous est pas parvenu. Le débat n’est donc pas clos. Mais il ne l’était pas plus en 1966 lorsqu’au cours du synode national de l’ERF le Président Pierre Bourguet s’exclama : « Ne peut-on penser que Dieu connaît en toutes langues le sens exact des termes inspirés à son Fils ? »

La gêne suscitée par la traduction de 1966 venait du déplacement du sens du mot « tentation » qui suggère désormais l’attirance voire la fascination pour le mal. De fait, le terme grec peirasmon, rendu en latin par temptatio, se traduit le mieux par « Épreuve » avec un grand É, celle qui est au-delà de nos forces. Paul dans 1Co 10.13 nous rassure : « Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter. » Pourquoi demander à Dieu de ne pas nous conduire dans une Épreuve au-delà de nos forces alors qu’il y est d’avance disposé ? Justement parce que cela va mieux en le disant et parce que Jésus nous dit que notre Père sait d’avance ce que nous allons lui demander.

N’ayons pas peur : pour nous, Jésus a traversé victorieusement l’Épreuve suprême, le piège de Satan lui enjoignant de mettre Dieu à l’épreuve une première fois (Mt. 4.7 et Lc 4.12) ; Satan s’étant éloigné pour revenir au temps marqué (Lc 4.13), il a évité une seconde fois de mettre Dieu à l’épreuve pour qu’il « éloigne de lui cette coupe », en acceptant que ce ne soit pas sa volonté qui advienne, mais celle de Dieu (Mt 26.39, Mc 14.36 et Lc 22.42). Il n’y a pas de traduction parfaite ; nous pouvons par esprit de communion avec les frères francophones d’autres confessions réciter la nouvelle formulation en sachant que ce que contient cette sixième demande du Notre Père est bien plus riche que les mots les plus riches. La victoire de Jésus sur lui-même donne tout son sens à sa mort et à sa résurrection. Christ est ressuscité ! Oui, il est vraiment ressuscité !

Jean-Louis Nosley

Télécharger la version PDF