Jésus, dès son vivant, comme par anticipation, formulait à Nicodème la leçon de la Pentecôte : « L’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix : mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va : il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit[1]. »
Naître ou renaître de l’Esprit : s’agit-il du privilège de quelques chanceux, bénéficiaires d’un arbitraire divin pendant que les laissés-pour-compte ont les oreilles pleines du bruit d’une fête à laquelle ils ne sont pas invités ? Devons-nous y lire une autre version de la phrase de Matthieu (22.14), « il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus ? »
La question me paraît pouvoir être mesurée à celle de la « sanctuarisation des biens communs ». Pouvons-nous en effet renoncer à ces biens que sont l’air, l’eau, la terre autrement qu’au prix de notre vie même ? Et pourtant nous savons à quel point ces biens communs sont aujourd’hui monnayés et mal partagés, voire ôtés à des populations entières : la terre et ses fruits sont depuis des siècles soustraits ou rationnés pour le grand nombre, et l’accès à l’eau est désormais menacé pour beaucoup. Quant à l’air, sa qualité est de plus en plus mal distribuée. Il y a même lieu de douter que le bon sens, qui passe pour un autre bien commun de l’humanité, soit la chose du monde la mieux partagée quand on voit l’incapacité des hommes à protéger efficacement pour eux-mêmes et pour leurs descendants la Terre, leur unique maison !
Imaginons que pour nous faire accéder à la vie de l’Esprit, il existe de même des conditions nécessaires : un Royaume, une nourriture, une eau, un souffle, une forme de raison spécifiques. Mais cette vie-là n’est pas de ce monde : nous n’avons sur elle aucun droit ni aucune prise légitime. Ainsi la voix de l’Esprit dont parle Jésus, nous l’entendons, nous la recevons dans sa Parole, souvent même quasi muette et sans mots dans notre intimité, cette « voix de fin silence » perçue par le prophète Élie (1 Rois 19.12). Elle est là, offerte, sans que nul ne soit justifié à l’accaparer. Elle s’adresse à tous. Mais ceux qui naissent d’elle pour une vie nouvelle échappent comme elle à la loi du monde. Ils appartiennent à l’Esprit. Et cet Esprit, loin de souffler au petit bonheur, a une volonté, une visée : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16).
Le baptême – que nos catéchumènes confirmeront le jour de la Pentecôte – ne met-il pas en acte et en image cette seconde naissance : naître de l’Esprit ?
Renée Piettre
[1] Jean 3.8, dans la vieille traduction de Lemaître de Sacy. En grec pneuma pnei, littéralement « le souffle ».