Amos, le cri du coeur

Amos, vous vous souvenez de lui ? Un « petit prophète » (son livre est limité à 9 chapitres, nettement moins qu’Esaïe et Jérémie par exemple). Si Jérémie a été considéré, un peu à tort, comme prophète de malheur, Amos, lui, ne fait pas dans la dentelle. Dans les deux premiers chapitres, les nations entourant Israël sont condamnées sans appel, non seulement pour les torts causés à Israël mais aussi pour les torts qu’elles se sont infligés les unes les autres, profitant du malheur ou de la faiblesse temporaire de telle ou telle.

Mais dès la fin du deuxième chapitre Israël n’échappe pas aux reproches. Et pourtant, en ce huitième siècle avant Jésus-Christ, règne à Samarie, dans le royaume du Nord, Jéroboam II qui pendant 40 ans assurera la paix et la prospérité d’Israël. Contrairement à ses prédécesseurs, il sait se montrer magnanime avec Juda, le royaume frère, plus modeste en taille et en richesse parce qu’il a compris qu’entre frères il vaut mieux coopérer face aux puissants Assyriens et Égyptiens. Ozias, d’ailleurs, règnera à Jérusalem en Juda également pendant une quarantaine d’années presque au même moment. Jéroboam II récupère tous les territoires perdus et étend même sa domination sur ses voisins conformément à ce que Jonas (le prophète malgré lui à Ninive) a annoncé quelques années auparavant. Il permet aussi à Juda de recouvrer des territoires.

Tout va pour le mieux ? Non ! Amos crie et tire la sonnette d’alarme. Cette prospérité est fragile : elle s’accompagne d’un relâchement des moeurs chez les privilégiés, d’idolâtrie et d’inégalités sociales. S’adressant aux femmes de la bonne société de Samarie il dit : « Écoutez cette parole… vous qui opprimez les faibles, écrasez les pauvres… on vous enlèvera… et vous serez poussées vers l’Hermon, oracle du Seigneur » (Amos 4 v. 1 à 3). S’adressant aux exploiteurs, il poursuit : « Écoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre et voudriez faire disparaître les humbles du pays… non, jamais je n’oublierai aucun de vos actes… En ce jour-là, oracle du Seigneur… je changerai vos fêtes en deuil, tous vos chants en lamentations… et ce sera jusqu’à la fin comme un jour d’amertume. » (Amos 8 v. 4, 7, 9 et 10). En effet, à peine plus de 20 ans après la fin du règne, Samarie sera prise et l’Assyrie fera main basse sur Israël dont elle convoitait les richesses depuis longtemps. Israël sera effacé de la carte pour deux siècles et ne retrouvera sa liberté politique que pour une brève période sous la dynastie asmonéenne, avant la conquête romaine.

Le lien avec aujourd’hui, me direz-vous ? J’ai envie de crier comme Amos mais d’abord contre moi-même ! Le monde est bien plus grand que la Palestine mais, vingt-huit siècles plus tard, avec les communications modernes, il a rapetissé à sa dimension. Ce smartphone qui me rend tant de services contient des métaux rares, des «Terres Rares » presque exclusivement extraites du sol de la RDC (pays d’origine de Philippe Kabongo-M’Baya qui nous en parle dans ce numéro), au prix de l’exploitation d’êtres humains et de souffrances sans nom, des armées rivales convoitant ces richesses et faisant main basse sur elles avec son cortèges de massacre de civils et de viol de femmes… Suis-je coupable ? En tous cas, je suis en partie complice. Que faire, alors ? Je n’ai pas la solution toute faite. S’il est difficilement question de me défaire de mon portable, je me dois de réfléchir à ce que je peux à ma modeste échelle même si la solution sera forcément plus globale. Je ne peux accepter en tous cas qu’une telle situation perdure.

Jean-Louis Nosley

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