Vivant jusqu’à la mort

La pandémie du Covid-19 et les événements sanitaires que nous vivons depuis 2020 sont révélateurs de l’évolution de notre rapport à la santé et à la mort, dans notre société matérialiste et technocratique.


Cette crise fait apparaître qu’une gestion essentiellement administrative et budgétaire des questions de santé, menée depuis des années, va à l’encontre du respect de la vie et de la dignité de la personne.
La santé, la vie et la mort sont-elles seulement des objets possibles de gestion, de maîtrise, de contrôle? N’exigent-elles pas une approche qui fasse nôtre la conscience des limites de nos savoirs, la conscience de notre fragilité et de notre finitude, le sens et la valeur de notre humanité ?
Trois conférenciers, un médecin, un philosophe et un théologien aborderont ces questions délicates de l’approche de la vie et de la mort, de la vieillesse aussi, dans notre société consumériste et productiviste.

Dimanche 26 septembre 2021 16H – 18H

La mort n’est pas l’échec de la médecine 

avec 
Didier Sicard 
Professeur de médecine 

Didier Sicard, 26 septembre 2021 :
La mort n’est pas l’échec de la médecine

Professeur de médecine, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, Didier Sicard a rappelé que la vie ne va pas sans la mort. Face à ce dénouement inévitable, quelle est la place du médecin ? Contre le marché de l’euthanasie qu’on voit s’installer en Europe, il a plaidé pour l’instauration d’une spécialité de haut niveau en soins palliatifs.

Avec la disparition des rites, le médecin devient l’interlocuteur unique des familles, mais son art ne lui a pas enseigné de réponse à leur angoisse et il vit chaque mort comme un échec. Il y a là un véritable « infantilisme intellectuel » : à quoi bon investiguer les causes du décès d’un centenaire ? Du moins la Covid a-t-elle permis de rendre à la mort son évidence et de révéler, avec le scandale de l’abandon des EHPAD lors de la première vague, l’indigence criante du traitement de la fin de vie. Cette indigence a pour revers l’absurdité de l’acharnement thérapeutique : 80% des décès se déroulent à l’hôpital, et c’est bien « le pire endroit pour mourir ». Ne faudrait-il pas plutôt réhabiliter le médecin de famille et l’autoriser à offrir une sédation adéquate à chaque cas ?

La phase terminale de nombreuses maladies pourrait être ainsi adoucie : certains cancers sans rémission possible, ou une maladie neuro-dégénérative comme la maladie de Charcot, vraie « descente aux enfers ». On pourrait proposer, avec autorisation médicale indépendante, un barbiturique spécifique, que le malade aurait la liberté d’utiliser dans un délai de six mois, à la condition de le renvoyer une fois passé ce délai. Une telle proposition, même non utilisée, procurerait une grande sérénité, et les patients auraient toute chance de mourir chez eux de leur maladie avant l’échéance. Ou bien chacun devrait-il donner des directives anticipées sur sa fin de vie ? Ce sont des décisions individuelles difficiles à prendre. L’euthanasie est pire encore : autorisées en Hollande depuis 2001, au Luxembourg depuis 2009, en Espagne depuis le 18 mars 2021, ces morts administrées en cinq minutes imitent l’abattoir, et, la loi une fois acquise, la tendance est à ne même plus s’embarrasser de précautions administratives, voire à banaliser un lucratif commerce de l’euthanasie en Suisse. Mieux vaut offrir une sédation terminale : assistance à domicile et soins palliatifs sont à portée de la médecine. Le « suicide assisté » devrait rester l’exception et relever de la réglementation la plus stricte.

Les religions ne se glissent plus à l’interface entre les familles et l’État pour organiser le respect des morts. Le débat malsain sur l’euthanasie, qui risque d’être exploité à des fins électorales, se substitue à l’urgence de promouvoir les soins palliatifs et de les placer au centre même de la médecine : c’est là que l’État doit intervenir, en préservant la liberté et la dignité des individu.

Dimanche 3 octobre 2021 16H – 18H

La sagesse de l’incertitude 

avec 
Jérôme Porée 
Philosophe 

Jérôme Porée, philosophe, 3 octobre
2021 : La sagesse de l’incertitude

Jérôme Porée interroge la médecine prédictive, qui utilise les tests génétiques pour prédire les maladies ou les malformations, au risque de l’eugénisme. Le « droit de savoir » ne va pas de soi : la revendication d’un droit d’ignorer ne témoignerait-elle pas au contraire d’une forme de sagesse ? Devant une science qui prétend régenter l’avenir du vivant, le philosophe doit savoir raison garder.

L’homme est « le plus admirable des êtres animés » (Pic de la Mirandole) par son pouvoir de se façonner luimême : même mon clone ne sera jamais mon alter ego. « Le cheval est programmé pour galoper, […] l’homme est programmé pour apprendre », dit François Jacob, qui opposait le « clos » de la vie animale à l’« ouvert » de l’homme capable de se projeter dans l’avenir. Or l’identification de nos tares génétiques ne compromettrait-elle pas l’ouvert de notre existence ?

Quel avantage pourrions-nous tirer d’une médecine prédictive ? Celle-ci pourrait être utile dans le cas où la prédisposition à telle ou telle maladie est à la fois détectable et susceptible d’un traitement préventif ou curatif non invalidant (ex. : l’hémochromatose). Ou bien (ex. : cancer du sein familial) la prédisposition est décelable, mais la seule prévention existante est lourdement invalidante (ablation des seins) : faudrait-il se résoudre à une mutilation, en confondant prédisposition et prédestination ? Ou bien le test prédit avec quasi-certitude une affection dont on ne connaît aucun traitement (ex. : la chorée de Huntington, maladie neuro-dégénérative après quarante ans) : faudrait-il en avertir le patient, au nom d’un droit, voire d’un devoir de savoir ? Aucun test en effet ne prédit notre capacité à supporter l’idée même de la maladie, et ceux qui se soumettent au test préfèrent d’ordinaire ne pas en connaître le résultat : voilà l’utilité du « divertissement » pascalien ! Quoique notre mort soit certaine, le moment où elle adviendra reste en principe indéterminé.

Les tests génétiques inversent l’axe du temps et transforment le possible en nécessité, pour notre plus grand désespoir. Nous pouvons vivre en nous sachant sujets à risques, mais il est des savoirs en trop avec lesquels nous ne pouvons plus vivre. Devrions-nous du moins nous interdire de transmettre à une descendance une maladie dont nous nous saurions porteurs ? Mais rien n’est jamais certain, une nouvelle mutation est toujours possible. Et quelle absurdité ce serait pour une future mère d’avorter pour soustraire son enfant à la menace de la maladie d’Alzheimer ! Il n’appartient à personne de décider pour autrui de ce que sera une vie digne d’être vécue. Il y a certes des handicaps terribles, mais pour qui ?

Dimanche 10 octobre 2021 16H – 18H 

«Laisse les morts enterrer leurs morts» 

avec
Philippe Kabongo M’Baya 
Théologien 

Philippe Kabongo Mbaya, 10 oct.
2021 : Laisse les morts enterrer leurs morts

Partant de l’exemple biblique de Tobie, qui s’appliquait à secourir les vivants et à enterrer clandestinement les cadavres des victimes d’un pouvoir assassin, l’orateur interroge l’invite paradoxale de Jésus à un disciple : « Laisse les morts enterrer leurs morts » (Mt 8 ; Lc 9). Il montre que le contexte est celui des récits de vocation, de l’urgence d’un appel qui vaut réquisition immédiate, où l’appelé doit accepter de ne rien retenir de son passé. La comparaison avec l’appel d’Élie à Élisée (1 Rois 19-21) précise le sens de cette vocation : Élisée est autorisé à embrasser ses parents avant de partir, mais il sacrifie aussitôt une paire de ses bœufs de labour, il les fait cuire avec le bois de sa charrue et il distribue la viande au peuple, montrant par là qu’il se sépare de son héritage pour se vouer entièrement à sa nouvelle investiture. En se consacrant à Dieu, c’est lui-même qu’il sacrifie.

Quel est cependant le sens des funérailles, qui, avec le soin des vivants, sont tenues pour un trait caractéristique de l’espèce humaine depuis son origine ? Un geste de Mandela prisonnier – laver et enterrer les racines d’un plan de tomate desséché au moment où il vit un deuil amoureux –, sorte de bricolage rituel, nous renseigne : les funérailles témoignent d’un attachement, une confiance, un espoir maintenus dans le deuil. Non pas à la manière de ces pratiques d’Afrique centrale où à grands frais l’on prolonge le deuil au maximum en retardant les obsèques, façon aussi d’apprivoiser la séparation avec tout ce qu’elle comporte de culpabilisant : mais par un humble respect du mort, qui tâche d’« inverser la mort en vie ». De telles funérailles évitent simultanément de laisser les morts hanter les vivants, au contraire de la pesante monumentalité des mausolées, ou dans les marabouts et les pèlerinages sur les tombeaux des saints.

Jésus connaissait sa propre vulnérabilité et prévoyait sa fin quand, après l’invitation à « laisser les morts enterrer leurs morts », il déclare que « le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête » : lui dont bientôt le corps, sans la générosité de Joseph d’Arimathie, aurait même été privé de toute sépulture ! Mais cette perspective est aussitôt dépassée dans la version de Lc 9 : « Toi, va-t’en annoncer le règne de Dieu ! » C’est une ouverture libératrice vers un monde réconcilié, alors même que Jésus et les siens, non moins que Tobie, vivaient comme des exilés clandestins au milieu des ravages d’un imaginaire de mort que les dignitaires entretenaient pour intimider le peuple. Don de sa propre vie et service des autres, c’est à cela que nous appelle cette parole authentique du Ressuscité.

Le pass sanitaire sera demandé aux personnes présentes. Pour
suivre les conférences à distance:

https://us02web.zoom.us/j/87141837712

Meeting ID: 871 4183 7712

Télécharger le version PDF