La Parole dans nos vies

La foule avance de son pas lent, elle est compacte. Quelques éléments en sortent, d’autres arrivent et pourtant rien ne change. Chaque individu est interchangeable avec n’importe quel autre. Mais voici qu’un nom est prononcé, une personne s’arrête, provoque un remous alentour. Elle a un nom, elle est quelqu’un, on la repère, elle existe. Comme pour le tohu-bohu de la création, par la parole, hors de l’indéterminé et du non-sens émergent la vie, le visible, l’ identifiable. Il est grave de vouloir ordonner la foule, de la faire marcher au pas, de la faire aller au rythme d’une pensée unique. L’uniforme est la plus forte expression du désordre, tout comme la hiérarchie qui ordonne et empêche de penser: on l’a vu dans l’administration de l’ordre totalitaire du XXe siècle. Appeler, c’est faire sortir de l’anonymat, rendre la personne à elle-même.

La Parole de Dieu nous appelle, posant dès lors un lien, une relation. De cette relation vient la mission à laquelle on est appelé. Les exemples sont nombreux : Abraham, Moïse, les disciples, Paul, sont appelés pour un projet lié à la grande Histoire, mais aussi à l’histoire individuelle de chacun. Au-delà de ces exemples connus, c’est la vie de chaque personne qui est concernée. L’être non nommé à un mal de vivre. La mère nomme son enfant à l’instant de sa naissance, c’est une reconnaissance. Le baptême s’inscrit évidemment dans cette optique. Nommer le baptisé, c’est le faire reconnaître, le dynamiser… C’est aussi aimer : on ne nomme jamais mieux que l’être aimé. La psychanalyse sait bien que sans parole, sans possibilité de nommer, il n’y a pas de vie possible digne de ce nom.

Savoir que Dieu appelle fonde pour le croyant le sens de sa vie. Ici la méditation et la louange sont fondamentales. C’est la relation qui fait vivre et crée l’être de l’homme dans son unité et son identité. La Parole est créatrice parce qu’elle permet à l’homme de se situer dans l’ordre du créé, en lien avec l’acte créateur de Dieu. La parole donne du sens à l’Histoire par l’espérance dont elle est porteuse, elle permet enfin à l’individu, par la contemplation, de vivre une dimension d’éternité dans le temps qui s’écoule. L’acte créateur fonctionne comme des poupées gigognes qui s’encastrent les unes dans les autres. C’est toujours la même parole que l’on retrouve dans la Création, théâtre de l’Histoire, dans l’Histoire, théâtre de la vie, et dans nos propres
vies. Dieu ne crée pas une fois pour toutes à partir de rien, mais sa parole créatrice de vie, parce que créatrice de sens et d’être, se pose dans le monde, dans l’Histoire et dans nos vies.

C’est peut-être à partir du chaos de nos vies qu’il faut relire la Genèse, pour réaliser que dans nos vies, comme dans le monde, Dieu apporte par sa parole une lumière toujours nouvelle. Par la parole créatrice, l’Esprit évite à chacun le repli sur soi et l’enfermement, l’uniformité, l’ennui dont on cherche à s’échapper par des fuites en avant inutiles et vaines, comme le montrent nos sociétés modernes. La Parole permet l’ouverture au monde, aux autres. Elle éclaire la succession du temps de la lumière de l’infini. Dans l’éternité de la parole, par sa lumière, c’est l’Esprit du Christ, l’Esprit révélé à Pâques qui nous attire, nous appelle et nous crée.

Vincens Hubac

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